Que savons-nous ? Et sommes-nous même assurés d'exister ? Actuellement différents de ce que nous étions à la seconde précédente, et de ce que nous deviendrons dans un instant, nous assistons à l'évanouissement perpétuel des phénomènes du monde extérieur, aussi bien qu'à celui de nos états de conscience.

André Rolland de Renéville

mercredi 6 juin 2012

Conte de la mère-grand (1870)




En sixième on m'a lu ce que j'appellerais les vrais contes, non travestis et fantaisistes, et comment dire, même si j'avais passé l'âge des contes de fées, celui-ci en particulier m'a tout bonnement tétanisée. Le Petit Chaperon Rouge originel , c'est plus qu'une coming-of-age-story. On bascule dans l'horreur, il s'agit vraiment de laisser les pucelles à la maison en leur montrant de quoi le monde extérieur est fait.Je me suis tout de suite imaginé des images, parce que c'est vrai, c'est très graphique, et surtout bourré de symboles. Le site de la BNF le présente comme-ci :






Le Conte de la mère-grand  est une variante du Petit Chaperon rouge recueillie par le folkloriste Achille Millien (1838-1927) dans le Nivervais autour des années 1870 et publié par Paul Delarue (1886-1956) dans Le Conte populaire français (Maisonneuve et Larose, 1957-1985). Comme d'autres versions de la tradition orale, il présente le motif du chemin des Épingles et des Aiguilles ainsi que celui du repas cannibale, tous deux absents chez Perrault comme chez les Grimm. Yvonne Verdier les analyse dans Grands-mères, si vous saviez…  En outre, l'épisode du déshabillage qui précède le coucher du Chaperon est ici fort développé. Cette version nivernaise présente enfin un dénouement heureux, bien différent de celui des Grimm... 
   



 
C'était un femme qui avait fait du pain. Elle dit à sa fille :
– Tu vas porter une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ta grand. Voilà la petite fille partie. À la croisée de deux chemins, elle rencontra le bzou qui lui dit :
– Où vas-tu ?
– Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ma grand.
– Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des aiguilles ou celui des épingles ?
– Celui des aiguilles, dit la petite fille.
– Eh bien ! moi, je prends celui des épingles.
La petite fille s'amusa à ramasser des aiguilles.
Et le bzou arriva chez la Mère grand, la tua, mit de sa viande dans l'arche et une bouteille de sang sur la bassie.

La petite fille arriva, frappa à la porte.
– Pousse la porte, dit le bzou. Elle est barrée avec une paille mouillée.
– Bonjour, ma grand, je vous apporte une époigne toute chaude et une bouteille de lait.
– Mets-les dans l'arche, mon enfant. Prends de la viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est sur la bassie.

Suivant qu'elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :
– Pue !... Salope !... qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand.
– Déshabille-toi, mon enfant, dit le bzou, et viens te coucher vers moi.
– Où faut-il mettre mon tablier ?
– Jette-le au feu, mon enfant, tu n'en as plus besoin.

Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon, les chausses, elle lui demandait où les mettre. Et le loup répondait : "Jette-les au feu, mon enfant, tu n'en as plus besoin."
Quand elle fut couchée, la petite fille dit :
– Oh, ma grand, que vous êtes poilouse !
– C'est pour mieux me réchauffer, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grands ongles que vous avez !
– C'est pour mieux me gratter, mon enfant !
– Oh! ma grand, ces grandes épaules que vous avez !
– C'est pour mieux porter mon fagot de bois, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grandes oreilles que vous avez !
– C'est pour mieux entendre, mon enfant !
– Oh ! ma grand, ces grands trous de nez que vous avez !
– C'est pour mieux priser mon tabac, mon enfant !
– Oh! ma grand, cette grande bouche que vous avez !
– C'est pour mieux te manger, mon enfant !
– Oh! ma grand, que j'ai faim d'aller dehors !
– Fais au lit mon enfant !
– Au non, ma grand, je veux aller dehors.
– Bon, mais pas pour longtemps.

Le bzou lui attacha un fil de laine au pied et la laissa aller.
Quand la petite fut dehors, elle fixa le bout du fil à un prunier de la cour. Le bzou s'impatientait et disait : "Tu fais donc des cordes ? Tu fais donc des cordes ?"
Quand il se rendit compte que personne ne lui répondait, il se jeta à bas du lit et vit que la petite était sauvée. Il la poursuivit, mais il arriva à sa maison juste au moment où elle entrait.

 



J'ai hâte de lire les contes de Franz Xaver von Schönwerth redécouverts l'an passé. Et Luchini était bien dans ce film.

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